Historia Universitatis Iassiensis 8, 113–165
Abstract. La mort du Constantin Stere, figure politique et intellectuelle de la Roumanie des premières décennies du XXe siècle, fait l’objet d’un riche travail nécro¬logique dans la presse roumaine de l’époque. Ce fait a-t-il représenté une chose de significatif concernant la construction de la postérité de Stere ? A la fois biographie rétrospective, démarche d’évaluation critique et genre rhétorique, le nécrologe de presse représente une ressource historique précieuse sur le passé universitaire, aussitôt qu’apporte documentaire direct et que source narrative d’arrière-plan. Peut-on esquisser à partir de l’analyse de cette production un portrait posthume de ce personnage dont la vie et l’amplitude sont encore si mal connues ?
C’est un regard sur le processus de configuration de ce catégorie discursive dans la presse roumaine des années trente du XXème siècle que cette démarche propose d’abord. Au-delà de la prouesse rhétorique, il s’agit donc de classer les genres discursifs impliqués, les moyens et les thèmes, les position¬nements et ses motivations, afin de les situer dans leurs contextes. Du même, en se pencher aussi bien sur la forme que le contenu, discerner le champ de forces, les tensions et le fractures dont la disparition de C. Stere les met en évidence, l’étude a comme objectif de clarifier le rôle joué par le nécrologe dans la confi¬gu¬ration de la postérité de cette figure historique. Enfin, puisque l’horizon théorique de cette approche est en plein construction, il n’est pas sans impor¬tance d’avancer une discussion plus systématique sur le nécrologe de presse en tant que source historique de l’histoire de l’université et ensuite sur les rapports de ce champ de recherche avec l’histoire culturelle.
L’exposée est organisée en trois séquences. Outre quelques considérations théoriques, une partie est consacré à la présentation du dossier nécrologique du quotidien Gazeta, l’une de plus indépendante publication de l’époque, lorsque les approches des principaux journaux de la Roumanie de l’entre-deux-guerres, Adevărul et Universul, sont prisent en compte dans la troisième partie.
Apparemment, au moins au début, pour le quotidien Gazeta, la mort de l’ancien militant et journaliste ne cache pas aucun enjeu. Néanmoins, on peut être surpris par le fait que même les informations primaires sont visibles conçues dans une logique adversative. Ainsi, la personnalité de Stere est figurée habituel¬lement comme une victime, bien que sans nommer les coupables. Ensuite, en le projetant dans des postures attachantes, lyriques et réflexives, c’est bien l’humanisation du personnage qu’on cherche. Enfin, il faut remarquer dans la position de ce journal, une relation assez raisonnable entre les articles infor¬matives et les articles en hommage.
Par contre, en plein guerre, commercial autant qu’idéologique, les publications des principaux groupes de presse de l’époque, « Adevărul-Dimineața » et « Universul » adoptent ouvertement une position nettement plus normative. Rendre hommage au disparu et combattre les adversaires à tout prix sont des gestes intimement liés. Ainsi, pendant une semaine, le journal Adevărul, la publication la plus influente de la gauche démocratique roumaine des années trente, consacre quotidiennement plusieurs articles à la personnalité de Stere. Signées par des figures intellectuelles et critiques de l’époque, on y mélange l’éloge funèbre avec la notice informative, la philippique en vitriol avec l’évocation lyrique. Mettre en scène l’allégorie d’un destin fulgurant, une tragique expression du conflit entre l’homme exceptionnel et le milieu hostile, victime du ressentiment, à l’attente de la postérité qui seule sera le bon juge, semble être le premier niveau de cette démarche.
De sa part, le quotidien Universul fait preuve d’un positionnement plus équivoque. Afin d’éviter toute récupération du disparu par les adversaires, le message doit être suffisamment pugnace. Toutefois, ce discours ne doit pas aliéner son public (particulièrement de Bessarabie) attaché à la mémoire de celui qui était considéré comme l’un des architectes de la récupération de la Bessarabie. C’est un choix qui se concrétise dans quelques énonces allusives et une notice informative à la limite du pamphlet et moins visible graphique. Stere reste donc toute simplement un traitre et le compagnon de route de l’ennemi du peuple.
Pour conclure, on doit observer au préalable que la mort de Stere est devenue un terrain d’affrontement entre les principaux journaux de l’époque, Adevărul et Universul. C’est d’ailleurs manifestement le fait que le nécrologe semble être un marker des fractures du monde de la presse roumaine de cette époque. Il n’est pas donc surprenant que, à l’exception des trois contributions des anciens étudiants, inclues dans la revue Viața Românească, tandis que le nécrologe informatif est structuré autour des mérites littéraires de Stere, aussi bien en tant que publiciste et théoricien du poporanism et qu’auteur de la série romanesque, « În preajma revoluției », sa carrière universitaire reste presque complètement ignorée. En même temps, cette production, si contradictoire soit-elle, ouvre une perspective, d’un part, sur les mécanismes d’évaluation sociale par la presse, particulièrement, sur les aléas de cette évaluation en tant que processus soi-disant spontané, et, d’autre part, sur le poids du capital intellectuel dans ce processus.